La maison défigurée.
C'est la triste histoire d'une des maisons qui compose la rue Cantimpré, autrefois une des plus belles et des plus prospères entrées de Cambrai.
Il reste quelques maisons du XVIIe, mais la plupart datent du XVIII et XIXe siècle.
La guerre et ses bombardements apportèrent ici ce que l'on appelle pudiquement des "dents creuses" et le bel alignement pris au fil du temps un air de banlieue.
Jusque là, ce n'est pas trop préoccupant.
Dans un premier temps, pour élargir l'entrée de la boutique les colonnes de fonte et le linteau de chêne firent place au béton. A ce stade, seul le rez-de-chaussée est modifié, le reste de la maison n'est pas touché.
Et puis un beau jour, sans que personne ne s'en aperçoive, le balcon disparut, laissant l'empreinte de ses attaches sur le mur. Non, ce n'était pas un beau jour.
Avec le temps, les propriétaires et les locataires se succèdent... et la semaine dernière, HORREUR !
Des ouvriers s'appliquent à poser un "bardage" sur l'ensemble de la façade.
Adieu balcon, adieu les fenêtres dont les appuis sont irrémédiablement brisés…
Adieu la modénature, avec ses tableaux d'allège aux angles concaves.
Adieu le décor enduit qui encadre chaque ouverture : larmier segmentaire encadré de crossettes qui s'évase vers le bas.
Comment ne pas s'emporter devant un tel massacre ?
Comment faire avec les balafreurs de rue, les effaceurs de façade, les gommeurs de décors, les arracheurs d'oeils-de-boeuf et les adeptes du laisser faire ou du "ça ne me choque pas" dont l'horizon se limite aux élections ?
Comment un commerçant souhaitant ouvrir ici une agence de location de véhicules peut imaginer recevoir ses clients dans le trou béant d'une façade dénaturée ?
Comment la France est devenue moche titrait Télérama. S'il n'y avait cette bande d'empêcheurs de massacrer en rond, de gentils râleurs vigilants d'une association de sauvegarde cambrésienne, s'en serait fini d'ici et d'ailleurs. Cette semaine ils ont fait arrêter le chantier de la rue Cantimpré.
Situation d'autant plus idiote que la ville de Cambrai accorde une subvention pour ravaler les façades !
Aux abords des monuments historiques toute intervention changeant l'aspect d'un immeuble nécessite une autorisation.
Mais les gens s'étonnent parfois.
Comment ?
On ne peut pas placer un châssis carré dans une ouverture en plein cintre ?
On ne peut pas peindre en bleu une maison de brique rouge ?
On ne peut pas supprimer les lucarnes, les remplacer par des Velux ?
Comment ? On ne peut pas poser sans autorisation une porte en plastique ? Mais la vieille laisse passer l'air ! La vieille était en chêne, unique, joliment sculptée par un artisan il y a plus d'un siècle et n'avait pas son pareil dans la rue. Pas son pareil dans la ville.
Oui, on peut mettre des Velux, mais pas n'importe où, ni n'importe comment.
Voici une intégration réussie :
Oui, les anciennes portes de chêne peuvent se réparer, retrouver leur jeunesse et coûter moins cher qu'une neuve. Il y a encore de bons artisans !
Oui, on peut peindre en bleu et apporter lumière et couleur dans la ville, mais plutôt sur des éléments de décor, des châssis, pas sur de grandes surfaces !
Combien de fois n'avons nous pas montré à un propriétaire des détails de sa façade qu'il n'avait jamais vu ? Ah bon, je ne savais pas... j'ai jamais regardé en haut !
Et vous, cette maison défigurée vous choque ?
Vous laisseriez faire ?
La façade appartient à celui qui la regarde. Alors, faut pas nous priver.
A bientôt, pour un sujet plus joyeux…